Je n'ai jamais été projectionniste, mais j'ai appris très jeune à aimer le cinéma.
En effet, dès le plus jeune âge, mes parents m'avaient inscrit au "patronage". Dans mon quartier, le curé, un curé de course, si je puis dire, enfin un jeune curé moderne et dynamique, animait les séances du jeudi et du samedi après-midi. Le jeudi, il ne nous passait que la moitié du film, et le samedi le film entier. Vous imaginez la frustration lorsque il coupait le film à la moitié, et qu'il fallait attendre le samedi pour voir enfin le film en entier. Et la terrible déception, si pour une raison ou pour une autre nous ne pouvions assister au film complet le samedi. Bien sûr, au patronage, malgré une salle de cinéma assez grande et bien conçue, il n'y avait qu'un seul appareil de projection, et il fallait attendre des minutes qui paraissaient interminables à chaque changement de bobine.
Pendant la projection, il s'autorisait à faire des commentaires pour apporter des précisions, par exemple "vous entendez cette musique, ça c'est l'hymne de la marine américaine", etc.
Avant le film, il y avait une séance de projection de diapositives, de bandes dessinées : Tintin, Jo zette et jocko, etc.... Et là il nous commentait carrément chaque diapo. par exemple, lorsque dans Tintin au Congo, Milou se fait mordre la queue par un perroquet, et que Tintin craint qu'il ait la "psittacose". Il nous expliquait que la psittacose était une maladie transmise par les oiseaux, ou encore, toujours dans Tintin au Congo, lorsque du bateau, Milou tombe à la mer, Tintin crie "un homme à la mer", parce que s'il avait crié "un chien à la mer", le capitaine n'aurait pas fait stopper les machines. On arrête un paquebot pour un homme à la mer, mais pas pour un chien à la mer, et de même, en lisant le dialogue suivant : "Ti vois ce grand bateau Boule-de-Neige ? Eh bien, ça y en a Tintin et Milou sur ce bateau" "Vous voyez en Afrique, les petits noirs parlent comme ça". Il en savait quelque-chose, il avait été aumonier, ou quelque-chose comme ça, dans les colonies. A l'époque, cela n'offusquait personne, et personne n'aurait eu l'idée d'aller traduire le curé devant un tribunal pour propos racistes. D'ailleurs aujourd'hui, pour ces raisons, personne n'oserait passer publiquement à des enfants, des diapos de Tintin et Milou. C'est aussi une autre époque.
Un peu plus tard je suis devenu un spectateur assidu des deux cinémas de mon quartier, où les séances ne coûtaient que 100 francs (anciens). C'est ainsi qu'entre le patronage et les cinémas du quartier, à l'âge de 11 ans, j'avais déjà dû voir plusieurs centaines de films, dont beaucoup de films américains des années 50. La guerre du Pacifique n'avait plus aucun secret pour moi
. Ma plus grande frustration, ça a été le jour de la projection du "Monde du Silence" le film de Cousteau en 1956. J'étais puni par mes parents je ne me souviens plus pourquoi, et j'ai été interdit de cinéma, juste ce jour-là. J'en ai été malade pendant plusieurs jours de désespoir et de rage d'avoir raté ce documentaire, que je voulais voir absolument. Mais mes parents, qui ne réalisaient pas l'importance pour moi de voir ce film, sont restés inflexibles.
Ce goût pour le cinéma ne m'a jamais quitté, même si je ne suis pas un cinéphile hyper-branché.
Mon père avait une caméra 9,5 mm, et le projecteur adéquat, et parfois, généralement le dimanche après-midi, c'était séance de projection à la maison. Nous n'avions pas encore la télé. En plus des films de la famille qu'il tournait avec la caméra; il avait aussi acheté des films de Laurel et Hardi, Charlot, Harold Loyd, ou encore, des dessins animés, de Mickey notamment. J'adorais ces projections familiales, j'ai encore dans ma mémoire olfactive, l'odeur très particulière d'huile brûlée que dégageait le projecteur.
Plus tard moi-même, quand j'ai eu mon fils, j'ai continué dans cette lignée en achetant tout l'équipement de cinéma amateur, en format Super8. C'était un sacré investissement à l'époque. Les films n'étaient pas donnés, il ne fallait pas filmer n'importe quoi.
Bien sûr aujourd'hui, on peut filmer à tire-larigot et gratuitement avec son caméscope ou son smartphone, qui fait d'ailleurs des videos de très bonne qualité et gérer ses vidéos avec son ordinateur, c'est une autre époque.
Joyeux Noël à tous.
Cordialement
Y